Doublement du métro lillois : on fait le point

Le métro de Lille, ouvert depuis 1983 est le premier métro au monde à utiliser la technologie du véhicule automatique léger (VAL).

TRANSPORTS – En 2012, la Métropole Européenne de Lille (à l’époque Lille Métropole) a signé un contrat avec la société Alstom pour remplacer la flotte des rames vieillissantes de la ligne 1 et par la même occasion de doubler la longueur des rames. En 2023, Alstom est en retard et les usagers perdent patience face à une institution qui leur promets une amélioration depuis plus de dix ans.

Les choses empirent et ne s’améliorent pas. Depuis plus de dix ans, la Métropole Européenne de Lille attend impatiemment les nouvelles rames de métro commandées en 2012 au constructeur Alstom. Dans un communiqué en date du 27 novembre 2023, la métropole annonce la décision de Damien Castelain, président de la MEL d’attaquer Alstom en justice et ainsi mettre fin à la médiation engagée avec Alstom depuis quelques années.

Un projet pourtant bien défini

Retour en 2011. À l’époque, la LMCU (Lille Métropole Communauté Urbaine) vote le nouveau plan de déplacements urbains. Dans ce plan, il est notamment prévu de doubler la longueur des rames de métro de la ligne 1 reliant le CHU de Lille et le Stade Pierre Mauroy pour utiliser la totalité de la longueur des stations qui composent la ligne. Ainsi, les rames actuelles devaient être transférées sur la ligne 2 afin d’augmenter la fréquence de celle-ci et par définition remplacées par des nouvelles rames d’une longueur de 52 mètres. Cette extension et ce doublement sont accompagnés d’une révision du système de pilotage automatique et de la signalisation. Le coût du projet est estimé à 629 millions d’euros en 2013.

Après un appel d’offres de la part de la communauté urbaine qui opposait Alstom, Siemens et Bombardier, Alstom est choisi pour la fourniture de 27 nouvelles rames de 52 mètres ainsi que du remplacement complet du système de pilotage automatique des rames en 2012. Le montant du marché s’élève à 266 millions d’euros hors taxe. En 2012, il est prévu une mise en service des nouvelles rames et du nouveau système de pilotage automatique pour 2015. Les nouvelles rames seront des rames de type BOA, ce qui permettra notamment l’intercirculation entre les différentes voitures qui composent la rame, chose qui n’est pas possible avec les rames actuelles.

Siemens attaque en justice et les travaux débutent

Siemens, un concurrent dans l’appel d’offres de la communauté urbaine, ne va pas comprendre le choix de Martine Aubry et des élus et va décider d’introduire un recours auprès du tribunal administratif, car l’offre qu’ils ont proposée était moins chère que celle d’Alstom. Seulement, l’industriel sera débouté de sa demande et sera accusé de pressions sur la présidente de la communauté urbaine, à l’époque Martine Aubry peu avant l’octroi du marché de construction. Un autre recours sera déposé mi 2012, mais celui-ci fut une nouvelle fois débouté de sa demande.

Nous sommes désormais en 2013, le marché est attribué, les délais fixés : les travaux peuvent commencer. C’est alors que le début de l’aménagement des stations débute en 2013, les rames actuelles devant par la suite s’arrêter sur la partie nouvellement aménagée pour laisser aux équipes le temps de rénover les anciens quais.

Des premiers retards de la part d’Alstom

Les premiers couacs arrivent rapidement. Alstom annonce que des problèmes liés au développement du pilotage automatique paralysent les travaux et qu’ils doivent reporter la mise en service des rames. De fil en aiguille, la mise en service sera encore repoussée alors que les rames devaient être mises en service pour l’Euro 2016. Pendant ce temps, néanmoins, des rames BOA commencent à être livrées au garage de Quatre Cantons à Villeneuve d’Ascq. En 2017, les rames ne sont toujours pas mises en service. Dans La Voix du Nord, Damien Castelin, président de la désormais Métropole Européenne de Lille est plutôt pessimiste sur le sujet.

“Je ne verrai pas sous mon mandat”

Damien Castelin, Président de la Métropole Européenne de Lille

La Métropole Européenne de Lille décide alors de saisir le tribunal administratif, car l’institution perd de l’argent. En effet, la MEL a dû verser 10 millions d’euros en 2017 à Transpole pour le manque à gagner généré par le retard. Il est important de rappeler que la concession de service public a été remportée une nouvelle fois par Keolis, qui est toujours aujourd’hui l’exploitant du réseau sous la marque Ilévia.

Nouvel accord de principe entre la MEL et Alstom

Le 11 octobre 2019, la Métropole Européenne de Lille annonce dans un communiqué de presse que le conseil métropolitain entérine un accord avec Alstom pour la mise en service du nouveau système de pilotage automatique en 2021 et des nouvelles rames BOA de 52 mètres à l’horizon 2023. Dans son communiqué, la métropole détaille les principes qui entourent l’accord :

  • mise en service du nouveau système de pilotage automatique sur les métros existants en 2021 et sur les nouvelles rames de 52 mètres en avril 2023
  • des pénalités de retard de 23 millions d’euros versées par Alstom à la MEL
  • la réalisation par Alstom de prestations de maintenance d’une valeur de 20 millions d’euros à compter de 2025
  • le report de 10 millions d’euros de pénalités sur le planning d’achèvement du projet
  • un intéressement de la MEL à la commercialisation du nouveau pilote automatique auprès d’autres clients en France et dans le monde à hauteur de 15 millions d’euros

Une présentation en grande pompes malgré la situation tendue

Le 14 novembre 2019, la MEL et Alstom s’associent à l’occasion des 3èmes Assises des mobilités pour présenter le futur métro au cœur des ateliers de maintenance du métro à Quatre Cantons. Cette présentation a eu lieue en présence de Damien Castelain, Président de la MEL, Gilles Fargier, Directeur général d’Ilévia et Jean-Baptiste Eyméoud, Président d’Alstom France. Dans un communiqué publié sur son site, Alstom détaille cette soirée :

Basées sur les solutions de métro sur pneus d’Alstom, les nouvelles rames de 52 mètres bénéficieront de davantage de confort, d’une accessibilité renforcée et de plus d’information voyageurs. Une rame pourra accueillir 405 passagers en version confort, grâce à l’absence de cloison entre les 4 voitures et des intercirculations larges. L’information voyageurs sera enrichie par des afficheurs et écrans multimédia. Des espaces seront dédiés aux personnes à mobilité réduite et un système de vidéoprotection intégrée contribuera à la sécurité des passagers à bord des rames et sur les quais. […] Les rames seront équipées d’Urbalis Fluence, dont la 1ère application mondiale est pour la Métropole Européenne de Lille. Il s’agit d’un système de pilotage automatique ultra-innovant qui assurera de meilleures performances avec un coût d’exploitation moindre, ainsi qu’une optimisation de la gestion du trafic et des temps de trajet.“.

Selon le constructeur, 300 collaborateurs travaillent activement sur ce projet.

De nouveaux retards liés à la crise sanitaire

Évidemment, la crise sanitaire que nous avons vécue en 2020 n’a pas réglé le problème. La date de mise en service du nouveau système et des rames de 52 mètres a été reportée en juillet puis en décembre 2023 en raison de l’épidémie de Covid-19. Une fois la situation rétablie et que le travail pouvait reprendre, Alstom a décidé d’organiser des tests sur des journées banalisées, généralement des dimanches. Ces journées permettaient aux équipes de tester le nouveau système de pilotage automatique. Pendant ce temps, les nouvelles rames BOA continuent à être livrées au garage de Quatre Cantons. Ces journées se sont multipliées pendant l’été 2023, lorsque l’affluence est la plus basse sur le réseau Ilévia. Mais force est de constater que les anciennes rames ne peuvent pas encore être utilisées sur le nouveau système de pilotage automatique, or cela est essentiel, car le poste de commandement central du métro va être remplacée avec la nouvelle technologie d’Alstom. La MEL parle dans un communiqué d’une “incapacité persistante d’Alstom de remplir ses obligations”.

En dépit des efforts de la MEL pour libérer d’importants créneaux pour les essais durant l’été, Alstom a de nouveau échoué à qualifier le nouveau pilote automatique en septembre 2023, avec la persistance de 65 anomalies bloquantes. Ce nouveau revers ne permet pas d’envisager la mise en service du pilote automatique et des nouvelles rames de 52 mètres avant 2026, soit un retard prévisionnel d’au moins 10 ans.

Communiqué de la Métropole Européenne de Lille, 27/11/2023

Dans ce même communiqué, la métropole annonce poursuivre Alstom en justice et ainsi mettre fin à la médiation qui avait été engagée avec Alstom. Leur objectif : obtenir de la société et des dirigeants le fait qu’ils assument leurs responsabilités envers la Métropole et envers les usagers du métro face à une situation critique. “En conséquence, la MEL va saisir la justice pour contraindre Alstom à remplir intégralement ses obligations aux termes du marché de modernisation du métro de Lille et à indemniser la MEL pour l’ensemble des préjudices subis, y compris en termes environnementaux. Un premier recours en référé va être déposé dans les prochains jours devant le tribunal administratif de Lille.” précise la Métropole Européenne de Lille.

Par conséquent, la mise en service du pilotage automatique et des nouvelles rames est désormais prévu pour… 2026 !

À LIRE AUSSI – Modernisation du métro lillois : ma réaction suite à la poursuite en justice d’Alstom par la Métropole de Lille

Une rame BOA en circulation au garage de Quatre Cantons à Villeneuve d’Ascq / Vidéo : Fabrice

Alstom rétorque, ils se disaient “prêts pour 2024”

Au lendemain de cette annonce, Alstom réagit, s’étonne et réfute les accusations de la Métropole Européenne de Lille, assurant avoir « fait la démonstration du fonctionnement de son système de métro automatique ». Ils ne nient pas avoir pris du retard dans ce dossier à 266 millions d’euros, mais en revanche, Alstom « conteste les propos tenus par la MEL au sujet de l’avancée du projet » et affirme ainsi « avoir fait la démonstration du fonctionnement de son système de métro automatique lors des derniers essais à Lille ». Dans son communiqué officiel, Alstom a assuré que « le groupe fera valoir ses droits dans le cadre de la nouvelle procédure juridique annoncée », affirmant être en mesure de prouver que son système de pilotage automatique était opérationnel.

La Métropole Européenne de Lille reçoit le soutien du gouvernement

Mais la MEL ne compte pas s’arrêter là. Elle a aussi demandé un soutien clair au gouvernement, notamment au Ministre des Transports Clément Beaune qui a tenu à apporter son soutien à la Métropole. Dans un écrit daté du 8 décembre dernier adressé à Damien Castelain, le ministre apporte un soutien clair : “Je tiens à vous renouveler mon total soutien alors que le retard accumulé par Alstom atteint maintenant près de 10 ans. […] Cette situation regrettable n’est pas à la hauteur des attentes que vous pouvez légitimement former d’un champion industriel qui fait la fierté de notre pays dans le monde.” Le ministre des Transports pointe également dans sa lettre “une obsolescence prévue pour 2025” pour la ligne du métro concernée et des “conséquences catastrophiques pour les transports collectifs de la métropole lilloise”, si Alstom n’apporte pas de réponse satisfaisante.

Les usagers, grands perdants de ce chantier

Les grands perdants de toute cette affaire, ce sont les usagers. Et ils souffrent terriblement. Les mêmes scénarios se dessinent au fil du temps et laissent penser aux usagers que rien n’avance. Comme par exemple tous les lundis matin où l’affluence d’usagers à la Gare Lille Flandres devient ingérable, encore plus lorsque la ligne 1 est ralentie. La fréquentation a drastiquement augmenté ces dernières années, menant parfois à une saturation des deux lignes.

Mais alors, à qui la faute ? Ici, la faute est partagée entre la Métropole Européenne de Lille qui semble impuissante sur ce dossier depuis des années et Alstom qui ne remplit pas ses obligations.

Du côté des usagers la colère monte et pour certains cette situation est lourde. “J’ai commencé à prendre le métro en septembre 2020 à mon entrée à l’université de Lille, ça allait globalement bien à cette époque. Les retards et blocages étaient plutôt rares. Puis j’ai arrêté de le prendre en 2021 en habitant proche de mon campus universitaire. Depuis 2022 je suis contrainte de reprendre le métro car j’ai déménagé et c’est honnêtement un enfer. […] Je prends le métro à Montebello et je descends à Porte de Douai. Le métro bloque toutes les semaines, plusieurs fois par mois j’arrive en retard à mes cours à cause du métro. Je m’organise pour rentrer à pied et marcher 45 min plutôt que de tenter le métro pour rentrer chez moi. C’est un quotidien épuisant, je passe chaque jour à traquer le compte twitter du trafic info pour savoir si le trafic est fluide.” explique Marina, usagère régulière du réseau. Elle explique également s’informer sur des comptes d’usagers comme le compte d’Actus Lillois, un compte géré par des passionnés.

Pour Léa, étudiante à la faculté des sciences juridiques politiques et sociales de l’Université de Lille et usagère, la situation est critique. “Alors c’est très simple le service est très médiocre.. […] Beaucoup sont obligés de se lever tôt pour prévoir le fait qu’il y aura un problème (j’arrive à l’Université avec 40 minutes  d’avance car il m’est déjà arrivée de louper les premières parties de mon cours..). Trop peu de métros circulent. Les heures de pointes sont INSUPPORTABLES. Le doublement des rames n’est pas simplement nécessaire, il est pour moi vital. […] Je suis étudiante, je paye 27€ par mois Ilévia pour au final finir le trajet à pied, et ça, c’est honteux.

À VOIR AUSSI – Actus Lillois : mon passage chez BFM Grand Lille

Pour d’autres usagers comme Dudum sur Twitter, les multiples interruptions se produisent à cause du manque de civisme de certains usagers : “La plupart du temps, c’est le manque de civisme des gens qui occasionne des pannes et les portes bloquées. Ils ne laissent pas descendre, ils dégradent. […] S’ils étaient plus polis, ça irait mieux”.

D’autres problématiques gênent les usagers, notamment au niveau de la tarification. Alexandryne, usagère régulière du réseau métro, ne comprend pas pourquoi le tarif augmente : “Non seulement Ilévia, c’est une catastrophe sur les pannes, mais le prix des abonnements augmentent alors que la qualité de leurs services régressent de plus en plus. […] ils devraient faire leurs travaux et ensuite augmenter les prix parce que là, je cherche la raison de l’augmentation, mais je ne trouve pas.“.

Lisa, une usagère et étudiante en troisième année de Licence Information – Communication à l’Université de Lille a elle aussi sur les réseaux dénoncé le niveau de service du réseau métro. Le niveau de service d’Ilévia était insuffisant pour prendre le métro et s’assurer d’être à l’heure à ses examens. Elle a dû commander un Uber.

Et le fait de devoir se retourner vers d’autres moyens de transports est un problème. La Métropole Européenne de Lille encourage les métropolitains à progressivement abandonner la voiture au profit des transports en commun, mais faut-il encore qu’ils soient fonctionnels et performants.

Sources ayant servies à la rédaction de cet article

0 Shares:
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous devriez aimer